« Permis de rêver » |Artisans de paix à Noisy-le-Grand

Extrait d’Artisans de paix contre la pauvreté – volume 1 : un Mouvement centré sur les personnes

L’essai qui suit a été écrit par Jacqueline Page, volontaire permanente d’ATD Quart Monde et plasticienne. Cet essai repose principalement sur les trois années de 2010 à 2013 qu’elle a passées à « vivre, comprendre et entreprendre » dans la cité d’hébergement de Noisy-le-Grand (France). Lorsqu’un permis de démolir fut affiché sur les murs de la cité, elle créa et afficha à côté un « Permis de rêver ».

NOISY-LE-GRAND

Il fait déjà nuit, je rentre chez moi, un jeune, 16 ans, qui porte capuche, que je connais de vue – il stationne souvent le soir, avec d’autres, près de cette porte – m’aborde, pour la première fois, en me tapant l’épaule : « je peux te demander quelque chose? »

Il fouille ses poches, ouvre un portefeuille déchiré, sort un petit objet : « C’est mon père, tu fais très attention c’est la seule photo, tu peux faire un grand portrait ? Il va mourir. »

La photo d’identité conservée dans un porte clé transparent est déjà abîmée. Il faudra faire confiance à plus grand que soi pour que le portrait soit réussi. Mais il se fera. Il ne pourra en être autrement. (…)

« Si on n’avait pas peint, cela aurait été la mort pour nous, pour les voisins et tous les habitants »
« Si on n’avait pas peint, cela aurait été la mort pour nous, pour les voisins et tous les habitants »

Je suis venue habiter la cité en 2010, afin qu’un des pavillons ne soit pas immédiatement muré. Au premier abord c’est le rose « Barbie » de la cité que je remarque, puis les poubelles, puis les enfants. Plus tard, la pancarte « Permis de démolir » a été vissée sur un des pignons. Pas étonnant qu’un enfant se demande si « sa maison va être détruite avec sa famille et lui-même encore dedans » ! Mais que fait-on de nos enfants ? Comment grandir dans de telles conditions de violences sournoises, environnantes, parfois incomprises? (…)

La cité du Château de France va être démolie. Désormais, lorsque les habitants partent, les baies sont murées : kaléidoscopes de parpaings gris mal jointoyés, roses surréalistes, portes blindées marron ou grises … J’habite la cité depuis 3 ans. J’ai choisi ces lieux, qui doivent disparaître depuis plus de 15 ans, pour vivre et peindre. J’étais certaine de pouvoir témoigner des injustices subies, des courages de lutte et de vie des habitants : un acte politique.

Un soir elle a sonné et ‘du haut de leurs trois ans et demi, les yeux noirs et rieurs ont demandé à peindre’. Le chemin était ouvert. Je n’ai plus eu le temps de la recherche picturale. J’anime des ateliers dehors, dedans, le soir, le matin, selon les coups de sonnettes des enfants, de mes disponibilités, de leurs désirs, de mes forces.

Un papa s’est mis à dessiner, à peindre. Il a installé un atelier dans le cagibi attenant à son pavillon. Une exposition de ses travaux a été organisée. Avec les enfants ou les adultes nous colorons les murs et les baies définitivement occultées. Une maman m’a demandé de l’aide pour décorer son appartement de frises de fleurs et de roses, une autre de toiles représentant des scènes festives. Plusieurs parents commandent le portrait de leurs enfants. J’assiste à des anniversaires, des fêtes, des concerts et rythmes improvisés, de grande qualité.

Alors l’exposition « Les beautés de la p’tite cité », présentée au centre culturel de Chelles en octobre 2012, n’a pas illustré les injustices, les violences et autres réalités difficiles toujours vécues, parfois de façon dramatique par les habitants de la cité du Château de France. Elle a été un hymne à la joie, à l’aspiration, à la générosité, à la créativité. Elle a témoigné que l’émerveillement est une base solide pour tout changement.

UNE RECHERCHE DE PAIX ENSEMBLE MAIS PAS À TOUT PRIX

Lorsque Momo vient montrer ses peintures et poésies et qu’il demande si j’agrée à telle ou telle phrase, je lui parle de liberté et de liberté assumée. Oui Momo il est de ta liberté d’écrire ce qui ne va pas comme il est de la mienne de croire en l’apaisement. Alors lorsque tu écris « On peut vivre sans blé mais on ne peut pas vivre sans liberté sur le mur de la maison », il n’est pas de ma responsabilité de te donner mon accord, mais il est possible que je dessine rapidement quelques brins de céréale, herbes que je n’aurai jamais représentées sans la réalité de l’écriture.

« On peut vivre sans blé mais on ne peut pas vivre sans liberté sur le mur de la maison »
« On peut vivre sans blé mais on ne peut pas vivre sans liberté sur le mur de la maison »

UN CONTE HEUREUX À RACONTER

Je ne sais pas si les peintures dans la cité sont déjà des traces d’art. Sans ma présence les peintures n’auraient pas vu le jour c’est certain. Pourtant elles ne sont pas une intervention externe, elles sont nées petit à petit au fur et à mesure de la vie dans la cité avec ses espérances et ses difficultés, avec la rencontre de personnalités différentes, avec des appréhensions des réalités diverses. Certains sont heureux de ces peintures, d’autres vont s’en servir pour dire leur souffrance. Pourtant personne n’a pris le pinceau, le goudron ou le marqueur pour les détruire. C’est impossible car ce serait comme de détruire son propre enfant. Rodrigue non plus n’a pas pris la brosse que je lui présentais pour effacer les lettres rouges indiquant :  car ce vieil homme est décédé une semaine après ce déménagement qu’il n’avait pas choisi.

CAR L’ESPOIR EST VÉCU

Je ne sais pas si ces peintures sont des traces de paix …. Je sais qu’elles sont une recherche de vivre ensemble qui nous a complètement dépassés. J’ose espérer qu’elle est un conte heureux à raconter pour montrer les possibilités. Et lorsque l’enfant se blottit dans les bras solides de papa et lui dit « papa tu es une star » parce qu’il vient de peindre le devant de la maison, l’espoir n’est pas simplement permis, il est vécu, reste à en témoigner.