Prendre en compte toutes les dimensions de la pauvreté
Photo: Manille, Philippines
Carolina Rivera est chercheuse-analyste au bureau des rapports sur le développement humain du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et Monica Jahangir est chargée de plaidoyer et de politiques publiques au sein du mouvement international ATD Quart Monde.
La pauvreté a d’autres dimensions que le manque d’argent. Nous commençons à prendre de plus en plus conscience du besoin de comprendre les nombreuses facettes de l’expérience de la pauvreté et de l’importance de mesurer les privations souvent inextricablement liées les unes aux autres auxquelles les plus pauvres font face. Cette compréhension est vitale pour prendre de meilleures décisions.
Les parallèles avec le développement humain sont évidents : pour bien le comprendre, il faut aussi considérer beaucoup de dimensions différentes de la vie, qui vont de la santé à l’éducation et aux revenus, en passant par la capacité à s’exprimer et à agir.
Le PNUD a fait un travail pionnier de développement d’outils de mesure de la pauvreté plus complets, comme l’indice de pauvreté multidimensionnel (multidimensional poverty index, MPI), qui cherche à élargir le débat public sur la pauvreté.
Mais si le travail de mesure de la pauvreté va désormais au-delà de la seule estimation des revenus, il se concentre tout de même en général sur ce que l’on appelle les « aspects objectifs de la pauvreté » : une série de biens tangibles et de services, en l’absence desquels les personnes sont jugées pauvres.
- Cependant, la pauvreté a également un côté subjectif : on peut aussi considérer des personnes pauvres en fonction de ce qu’elles ressentent à propos de certains aspects importants de leur vie, en fonction des dimensions qui ont de la valeur pour elles.
Beaucoup reconnaissent de nos jours l’importance de prendre en compte la mesure subjective du bien-être, notamment le bonheur ou la satisfaction de vie, pour juger du niveau de développement d’une société. Il en va de même pour la pauvreté, qui a aussi beaucoup d’éléments subjectifs.
La pauvreté peut agir sur les êtres humains de façons différentes, de façon interne (par la honte, par exemple, ou le sentiment d’humiliation) ou externe (par l’absence de pouvoir politique et de prise sur le débat public). Dans ce contexte et dans le cadre de l’agenda 2030 pour le développement durable, qui appelle de ses vœux « la fin de la pauvreté sous toutes ses formes partout dans le monde », ATD Quart Monde et l’université d’Oxford mènent une recherche internationale autour de la définition de la pauvreté, en examinant d’une manière nouvelle ses dimensions fondamentales et la manière dont elles interagissent les unes avec les autres.
Fondée sur la méthodologie du croisement des savoirs, ce projet est un programme de recherche international qui rassemble des scientifiques, des acteurs sociaux et des personnes qui ont une expérience directe de la pauvreté et qui y sont considérées comme des chercheurs associés à part entière, sur un pied d’égalité. Cette recherche commence par des conversations entre pairs, où des personnes au parcours similaire discutent de leurs expériences, de leurs connaissances et de leurs perceptions de la pauvreté.
Les différents groupes se rencontrent ensuite pour partager leurs observations et travaillent à élargir les définitions de la pauvreté. Des équipes nationales, qui comprennent des chercheurs, des acteurs sociaux et des personnes pauvres, mènent cette recherche au Bangladesh, en Bolivie, en France, en Tanzanie, au Royaume-Uni et aux États-Unis.
Leurs conclusions seront ensuite consolidées au niveau national puis rassemblées à l’échelle internationale, afin d’identifier des dimensions de la pauvreté communes au Nord et au Sud.
(Bleu clair : Besoins fondamentaux. Bleu foncé : Accès à la vie politique et sociale. Rouge : Développement personnel et professionnel. Vert : Identité et relations. Violet : Une vie pleine de sens.)
Le bureau des rapports sur le développement des Nations Unies, qui reconnaît l’intérêt de ce travail, a participé à l’un des groupes, pour y partager son expérience de la définition et de la mesure multidimensionnelle de la pauvreté, à travers son approche du développement humain, qui se concentre sur les personnes, ainsi que sur leurs opportunités et leurs choix.
Le développement humain consiste à donner aux personnes plus de liberté pour mener une vie qui ait de la valeur pour elles. Et telle était précisément l’une des questions initiales posées aux participants : celle des aspects de leur vie qui avaient le plus de valeur pour eux.
Ce type de recherches participatives peut remettre en cause les conceptions traditionnelles en donnant voix au chapitre aux personnes en situation de pauvreté, dont on peut considérer qu’elles sont les premières expertes de ce qu’est vraiment la pauvreté. Leurs résultats pourraient redéfinir la manière dont les politiques publiques à l’échelle mondiale entreprennent d’éradiquer la pauvreté.
Beaucoup de participants à ce programme ont adopté une approche traditionnelle et ont placé les besoins fondamentaux au centre de leur hiérarchie. Ils ont jugé que c’est seulement quand les besoins fondamentaux sont satisfaits que les personnes sont capables de participer à la vie sociale et politique, de se développer professionnellement, de former des relations avec les autres et de trouver du sens à la vie.
D’autres ont adopté une perspective différente. Ils ont pensé que la dimension la plus importante de la pauvreté est la façon dont les individus sont perçus et la manière dont dignité et identité leur sont déniées. Si l’on considère la pauvreté de ce point de vue, on peut juger que les autres dimensions ne sont que la conséquence d’une violation des droits humains.
- Les définitions alternatives de la pauvreté peuvent aider au travail sur la pauvreté et les objectifs de développement durable (ODD), en offrant aux pays l’opportunité de concevoir des solutions innovantes pour s’attaquer à la pauvreté dans des domaines inédits.
Ces domaines sont souvent négligés en partie parce qu’il est difficile de mesurer des concepts comme l’identité, la conscience de soi, les relations sociales ou bien le sentiment d’appartenance. Nous espérons que ce travail montrera l’importance de ces dimensions et soutiendra leur intégration dans les enquêtes statistiques menées un peu partout.
Note : un rapport national présentant les neuf dimensions de la pauvreté aux États-Unis sera disponible le 27 mars 2019 sur le site d’ATD Quart Monde USA.
Un rapport international de synthèse sera présenté lors d’une conférence conjointe OCDE – ATD Quart Monde, à Paris le 10 mai 2019.