Article écrit par Joëlle Loos, alliée du Mouvement international ATD Quart Monde au Luxembourg.

Célébrer les 40 ans du Mouvement ATD Quart Monde au Luxembourg

Célébrer les 40 ans d’un mouvement de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale n’est à priori pas un moment de joie et de fête. Au Luxembourg, comme ailleurs, la précarité et la misère condamnent encore aujourd’hui des personnes à vivre dans des conditions inacceptables et indignes.

Le Mouvement international ATD Quart Monde promeut la participation des plus pauvres pour bâtir une société plus juste. Il a ainsi développé avec des personnes en grande pauvreté des projets à long terme afin de ne laisser personne de côté. Ces efforts n’ont pas été vains et certains ont contribué à des changements.

« Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les Droits de l’Homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. »

Gravées sur la dalle du Trocadéro inaugurée le 17 octobre 1987, ces paroles de Joseph Wresinski, fondateur du Mouvement ATD Quart Monde dans les années 50 en France, restent d’actualité. La société accepte de plus en plus le fait que la résolution de la pauvreté ne soit pas une question de charité, mais plutôt de droits humains. Malgré cette reconnaissance, les réponses à la pauvreté et à l’exclusion sociale sont encore trop souvent associées à des mesures provisoires et à l’assistance.

• « Et aujourd’hui, quarante années après ? Je crois qu’en principe le lien entre pauvreté et droits humains est accepté dans notre société. Dans le milieu des différentes ONG, on fait de grands efforts pour agir en se basant sur ces droits. Quant au milieu de la politique et de la société, il me semble plutôt que cela reste un langage politiquement correct, on en parle parce que c’est dans l’air du temps. Mais parler et agir, ce sont deux aspects différents. On ne tire de conséquence de rien juste en parlant.

• Au fond, le principe qui me semble guider notre société, c’est la méritocratie : chacun, chacune serait responsable de son bonheur. Affirmer cela, c’est ne pas considérer que tout le monde n’a pas les mêmes conditions matérielles, physiques et psychiques. On est d’accord, en principe, d’aider les pauvres, même si c’est une aide substantielle. Mais on ne s’attèle pas à changer leur situation, on ne leur « donne pas la parole », ni sur le plan politique, ni sur le plan sociétal, ni au niveau des institutions, à quelque exception près. » Jean Bouché¹

Faire reconnaître la contribution des personnes vivant dans la pauvreté est essentiel

Depuis sa création, le Mouvement a également relevé le défi de son fondateur. Joseph Wresinski avait promis aux militants Quart Monde de leur faire « gravir les marches de l’Élysée, du Vatican et des Nations Unies. »  À la fin des années 70, ATD Quart Monde commence des actions de « partage du savoir » telles que les bibliothèques de rue. Très vite, plusieurs actions publiques se mettent en place : parmi elles, une exposition sur les Droits de l’Homme à la Commission et au Parlement Européen, une rencontre avec le Commissaire responsable du travail et des affaires sociales à la même Commission, ou encore, la participation de jeunes à une rencontre avec le Pape. Ces moments, destinés à faire entendre l’expérience des personnes les plus démunies et reconnaître leur apport essentiel dans la lutte contre la grande pauvreté, se poursuivent dans toute l’histoire d’ATD Quart Monde.

Réalisé à l’occasion des 40 ans du Mouvement au Luxembourg, le film N’oublier personne, réfléchir ensemble, décider et agir contre la pauvreté témoigne de cette histoire.

Une grande diversité – un même combat

En 1982, la création de l’Université Populaire Quart Monde permet de donner la parole aux familles en précarité. Elle reprend un autre pari ambitieux d’ATD Quart Monde, celui de rassembler dans un même combat des personnes très diverses pour une société juste. D’un côté, des personnes fragilisées par la vie, marquées par des difficultés quotidiennes et dont les aspirations et efforts sont souvent incompris. De l’autre, des personnes qui n’ont pas l’expérience de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Les uns et les autres ayant des âges, des situations familiales et professionnelles, des sensibilités, des savoir-faire et des talents extrêmement divers. Au fil des années, cette diversité est à la fois source d’énergie et pose un grand défi à relever au quotidien.

Sans cet engagement avec les plus pauvres, nombreuses sont les personnes qui ne se seraient jamais côtoyées et enrichies mutuellement.

Même s’ils sont très différents, les membres du Mouvement sont tous animés par des convictions communes, peut-être parfois plus ou moins conscientes, mais bien présentes dans leur engagement collectif.

Ces caractéristiques sont les plus grandes richesses d’ATD Quart Monde et « nous pouvons en être fiers. » Dans une brochure créée par l’équipe d’ATD Quart Monde au Luxembourg à l’occasion de cette célébration, des paroles de ces personnes ont été réunies.

40 ans – deux moments forts de mobilisation et de fête

Journée mondiale du refus de la misère

Les 40 ans du Mouvement au Luxembourg ont d’abord été fêtés à l’occasion du 17 octobre. Les organisateurs ont eu le plaisir d’accueillir Mme Corinne Cahen, Ministre de la Famille, Mr Maurice Bauer, échevin aux affaires sociales de la Ville de Luxembourg, d’autres personnalités et de nombreux militants, alliés et amis de longue date.

40 ans d’engagement ont été passés en revue grâce au film documentaire. Deux militantes de longue date ont présenté l’histoire et la « tapisserie des 40 ans » réalisée par l’une d’entre elles.

Une exposition d’œuvres artistiques réalisées par les membres du Mouvement a également permis de découvrir toute leur créativité.

Édith Jacobs, une des fondatrices d’ATD Quart Monde au Luxembourg, a coupé le gâteau d’anniversaire puis, tous les participants ont fait un temps de silence autour de la Table de Solidarité² pour rendre hommage aux victimes de la misère dans le monde. La commémoration était accompagnée par la chorale Home Sweet Home & Friends formée de chanteurs d’horizons très divers.

Table-ronde : « Pourquoi la pauvreté persiste-t-elle au-delà des générations ? »

La persistance de la pauvreté au-delà des générations est un des aspects qui est de plus en plus mis en évidence dans la lutte pour une société plus juste.

Au cours de l’année, un groupe de membres du Mouvement avait eu l’opportunité de travailler avec Olivier de Schutter, Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les Droits de l’Homme. C’était dans le cadre de son rapport sur la persistance de l’extrême pauvreté qui a été présenté à l’Assemblée Générale des Nations Unies en octobre 2021.

ATD Quart Monde souhaitait continuer tout ce travail de réflexion avec Olivier de Schutter à l’occasion de dialogues participatifs. Une soirée a été organisée pour diffuser ce débat et l’élargir vers un plus large public. Ont été entre autres invités des travailleurs sociaux luxembourgeois, d’autres professionnels ainsi que des membres d’ATD Quart Monde du Luxembourg et de Belgique. La soirée a commencé par la projection d’une vidéo reprenant les grands thèmes de la contribution des militants Quart Monde lors du dialogue avec Olivier de Schutter.

Cette projection a été suivie d’un débat avec les invités. Cet échange a mis en évidence la complexité des sujets traités et la nécessité de les approfondir.

Le futur

Comprendre la persistance de la pauvreté au-delà des générations est un des défis qui reste à affronter. Nous espérons que les membres d’ATD Quart Monde gardent intact leur créativité, leur courage et leur énergie et continuent à unir leurs forces pour construire l’avenir ! Nous souhaitons que le combat avance pour que dans 40 ans il n’y ait plus lieu de célébrer les 80 ans d’ATD Quart Monde au Luxembourg !

1. Président du Mouvement ATD Quart Monde au Luxembourg de 1993 à 2004
2. Cette table reproduit la dalle du Trocadéro à Paris