Qu’est-ce que la pauvreté ? Une étude inédite en quête de nouvelles réponses

Du 5 au 10 septembre 2016, un groupe international d’experts en pauvreté s’est réuni à Villarceaux 1 afin d’initier une nouvelle recherche pour mieux comprendre la pauvreté dans le monde. Avec les habituelles séances plénières, les petites avancées collectives et les murmures provenant des cabines d’interprétation simultanée du fond de la salle. Et des cueillettes de mûres…

Intitulé « Déterminer les dimensions de la pauvreté et leurs mesures avec les premiers concernés », ce projet ambitieux sera mené sur trois ans dans plusieurs pays. Quatre pays pilotes (Bangladesh, France, Tanzanie et Royaume-Uni) permettront d’étudier si l’on voit les mêmes phénomènes liés à la pauvreté, et trois pays satellites (Bolivie, Etats-Unis et Ukraine) seront associés sur des sujets spécifiques et complémentaires sur une période plus courte. Du début à la fin, des personnes vivant dans la pauvreté seront acteurs à part entière de la recherche.

Chaque pays identifiera et analysera des « dimensions », ou des éléments caractéristiques de la pauvreté. Ces nouvelles dimensions aideront les décideurs politiques à viser les vrais problèmes et à concevoir des programmes plus efficaces pour réaliser l’objectif des Nations Unies qui se sont engagées à « éliminer la pauvreté sous toutes ses formes » d’ici 2030.

Le projet, financé par ATD Quart Monde, L’Agence Française de Développement, l’Université d’Oxford, la Fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme ainsi que plusieurs autres organismes, est mené par ATD Quart Monde en collaboration avec Robert Walker, professeur de politique sociale à Oxford. Des membres de l’équipe d’animation du projet de chaque pays, ainsi que du Comité scientifique qui dirige la recherche, participaient au séminaire à Villarceaux.

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Le projet vient d’une prise de conscience de plus en plus importante : pour réussir, les politiques de lutte contre la pauvreté ont besoin de faire plus que de s’assurer que chaque être humain ait accès à l’électricité, à la santé, la nourriture et à suffisamment d’argent pour subvenir à ses besoins fondamentaux. Progressivement, les décideurs politiques ont réalisé que la question de la pauvreté, en particulier de l’extrême pauvreté, nécessite de prendre en compte des situations culturelles et personnelles complexes, aussi bien au moment de la conception des programmes que lors de leur évaluation. Dans le passé, des services bien intentionnés et des programmes conçus pour lutter contre la pauvreté ont fait plus de mal que de bien. Des experts constatent désormais que la meilleure façon de concevoir des solutions est d’écouter et de discuter avec les personnes que ces programmes veulent aider.

Mener une réflexion à égalité

Le séminaire s’est concentré sur la manière de générer des discussions au sein de groupes très différents qui n’ont pas l’habitude d’échanger entre eux. Chaque pays apportait des idées sur la manière de créer des échanges constructifs et durables entre les chercheurs, les représentants des gouvernements, les professionnels qui travaillent sur le terrain et les personnes qui ont une expérience personnelle de la pauvreté.

Il est facile de dire qu’on « consulte les bénéficiaires d’un programme » ou qu’on « cherche des données auprès des populations locales ». Mais comment mener une réflexion qui mette à égalité chercheurs et personnes en situation de pauvreté ? Comment des personnes munies de hauts diplômes, entraînées à réfléchir sur l’économie et les statistiques pourraient-elles comprendre ceux qui luttent tous les jours, dans des circonstances éprouvantes pour nourrir leurs enfants et les protéger de la violence ? Comment des personnes ayant reçu très peu d’éducation formelle pourraient-elles s’asseoir autour d’une table de conférence et partager leurs points de vue avec d’autres qui maîtrisent le langage académique, pour discuter « d’indicateurs à dimensions multiples »? Les spécialistes auraient pu se laisser aller à converser autour d’une table à partir de diagrammes et de graphiques. Si les 5 cinq jours de séminaire s’étaient limités à cela, les échanges n’auraient même pas eu lieu, les autres participants se sentant exclus de la discussion. De plus, certains aspects de la pauvreté n’auraient même pas été abordés.

Les animateurs de ces rencontres avaient tous l’expérience requise pour faciliter les discussions entre des participants d’origines diverses. Mais comment parler d’une expérience personnelle profondément douloureuse telle que la pauvreté ? Personne ne veut partager sa vie intime avec de parfaits étrangers. Afin de parler ouvertement de ces expériences personnelles à cette réunion, tous devaient se rapprocher. De fait, le séminaire a commencé de manière inhabituelle, afin d’inciter les participants à échanger sur d’autres choses que des idées abstraites. Chacun a dû mettre un pied en dehors de sa zone de confort pour partager quelque chose de soi qui va au-delà de son travail, de son origine ou de son pays d’origine.

Le premier jour a commencé avec des activités pour aider les participants à faire connaissance et dépasser le stade d’une liste de qualifications professionnelles (ou d’absence de ces dernières). Chaque matinée débutait avec une activité de quinze minutes animée par un pays. Les repas étaient pris ensemble et des moments conviviaux étaient aménagés.

Tout cela a grandement contribué à développer une atmosphère dans laquelle les participants pouvaient discuter d’autres choses que de statistiques et de théories. Les personnes dans la pauvreté connaissent les obstacles auxquels elles sont confrontées et comment les surmonter, beaucoup mieux que des personnes étrangères à cette situation. Si les acteurs du développement veulent apprendre ce qu’est la pauvreté auprès des communautés désavantagées, ils ne doivent pas se contenter de venir poser des questions, un bloc-note à la main mais générer des circonstances adéquates afin d’obtenir un échange authentique.

C’est pourquoi la recherche s’appuiera sur la démarche du Croisement des savoirs, une méthode éprouvée qui permet à des personnes d’origines diverses d’être co-chercheurs ensemble, co-constructeurs du savoir.

« Déterminer les mesures de pauvreté » débutera dans chacun des pays ciblés dans les mois à venir. Pour plus d’informations, veuillez contacter Monica Jahangir :

Co financé par l’AFD et la FPH

 

lesmesurespauvreteSources : Observatoire des inégalités et article de Jacqueline Plaisir

 

  1. Propriété de la fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme, la ferme de Villarceaux accueille régulièrement des manifestations en faveur du développement durable