Revenu minimum en Europe : une vie digne pour tous ?
L’Intergroupe « Extrême pauvreté – Droits de l’Homme » est un groupe du Parlement Européen sur les questions de pauvreté en Europe. Le 6 avril 2016 s’est tenue une réunion publique en présence d’eurodéputés de tous les groupes politiques et de militants Quart Monde irlandais et flamands, sur le revenu minimum. Est-il accessible à tous ? Comment vivent les populations les plus fragiles des pays qui n’ont pas mis en place de revenu minimum ? Faut-il créer un revenu universel sans conditions de ressources ? Les participants ont partagé leurs expériences et leurs points de vue.
Des inégalités au sein et entre les pays européens
Fintan Farrell, directeur intérimaire du Réseau européen anti-pauvreté (EAPN) et directeur de projet pour le Réseau européen pour un minimum (EMIN), a rappelé qu’un revenu minimum doit être disponible pour toute personne en âge de travailler n’ayant pas accès à un moment donné à un emploi ni à des aides, et ne doit donc pas être pensé comme un système de revenu « pour » les plus pauvres. Il a attiré l’attention sur la conditionnalité (lettres de recherche d’emploi…) et les difficultés qui empêchent souvent l’obtention d’un revenu minimum. Il a mis en lumière les grandes disparités entre les systèmes de garantie de revenu existants dans les pays de l’UE et rappelé qu’ils existent dans 26 pays membres (l’Italie et la Grèce n’ont pas de système de revenu minimum). Fintan Farrell appelle donc à développer une méthodologie commune afin d’établir des budgets de référence liés à un panier de biens et services nécessaire pour vivre dans la dignité dans chaque pays. Au-delà même du montant, le rapport EMIN de 2014 révèle les obstacles liés à l’accès à ces systèmes de revenu minimum. Le « non-recours » à ce revenu reste un réel problème dans de nombreux pays.
« Les pauvres ne doivent pas rester invisibles, ils doivent être protagonistes et acteurs de la lutte pour leurs droits » a rappelé Carla Bellazzecca. L’intervention de cette militante italienne d’ATD Quart Monde a donné une perspective sur la situation de vie dans un pays de l’Union européenne qui n’a pas de système de revenu minimum. Elle relate qu’en Italie, mis à part fournir des logements sociaux, l’État n’agit pas sur des réalités graves liées notamment à la discrimination sociale, la violence, l’analphabétisme, la drogue… Carla Bellazzecca a rappelé les coûts liés à la pauvreté pour l’État qui sont causés par la marginalisation d’une partie de la population : le travail au noir, la propension à tomber malade avec des soins à la charge de l’État, ou à tomber dans la délinquance… Elle demande que « l’Union européenne contraignent l’Italie et la Grèce, les deux pays qui n’ont pas encore adopté une loi créant un revenu minimum garanti, à adopter une telle loi de manière à garantir un minimum de dignité à leurs citoyens qui vivent dans la pauvreté ! »
Parmi les interventions du public, un groupe de militants d’ATD Quart Monde Irlande a témoigné des difficultés auxquelles sont confrontées les personnes sans-abris, en particulier à Dublin, pour l’accès au revenu minimum, au logement et aux soins de santé, dans un pays où une allocation pour la recherche d’emploi et un régime d’invalidité existent mais ne sont pas toujours accessibles.
Options possibles pour l’avenir
Peter Verhaeghe, chargé de politique et plaidoyer à Caritas Europa a évoqué la situation de l’Espagne. Même avant la crise de 2007, le taux de pauvreté était en augmentation. Presque la moitié des emplois créés étaient précaires. M. Verhaeghe a rappelé qu’en Espagne, il n’existe pas d’allocation familiale universelle et que 700 000 ménages vivent toujours sans revenu. Caritas Europa recommande la mise en place d’un revenu minimum adéquat et un ajustement du salaire minimum pour permettre une vie digne ainsi que l’introduction d’une garantie pour enfants.
Il existe en France comme dans d’autres pays, un débat sur la création d’un revenu minimum inconditionnel, sans condition de ressources. La logique du revenu de base vise à simplifier davantage le système de protection sociale tout en supprimant les trappes à pauvreté et diminuer l’effet de stigmatisation qui accompagne souvent le fait de devoir demander à obtenir le revenu minimum. Marc de Basquiat, président de l’association pour l’instauration d’un revenu d’existence (AIRE) a présenté des réflexions philosophiques en faveur de la création d’un revenu minimum inconditionnel qui simplifierait le système actuel complexe français. Selon ses calculs, mis à part pour les adultes seuls, les personnes recevant le revenu de subsistance plus l’allocation logement seraient dans une situation significativement meilleure.
Marc Beernaert, militant ATD Quart Monde en Belgique, a partagé les réflexions d’une Université populaire flamande qui s’est tenue fin 2015 sur le revenu de base universel. Il en ressortait de nombreuses questions autour du risque de perte de certaines allocations, dont les prestations familiales, l’accès au logement social, les aides au logement, les bourses d’études pour foyers à bas revenu, les aides liées aux transports, mais aussi plus spécifiquement le remboursement majoré pour les frais de santé dont bénéficient les personnes sans abri… Il y a aussi la crainte d’une possible augmentation des loyers comme conséquence d’un revenu universel, dans un contexte de pénurie de logement. D’un autre côté, l’Université populaire a fait ressortir certains aspects positifs du revenu universel : avec un revenu régulier, chacun aurait la possibilité de faire des choix (travailler seulement à temps partiel et/ou s’occuper des enfants, des personnes âgées, malades dans la famille). De plus, cela permettrait aussi plus d’entraide et d’aide gratuite parmi les citoyens :
- « Il est important que nous nous entraidions davantage, gratuitement, sans payer. On s’aide pour déménager au lieu de payer une entreprise de déménagement ou la location d’un camion. On peut s’aider pour le repassage, travailler dans le jardin d’un voisin ou d’un ami. Cela aide aussi à faire baisser le coût de la vie. »
Radek Maly, Chef d’unité de la Direction des affaires sociales à DG Emploi de la Commission européenne a réitéré la priorité que le Président Juncker donne aux questions sociales. Il a remis en contexte l’importance d’un « triple-A social » avec les tendances actuelles d’augmentation de la pauvreté, du chômage, notamment du chômage de longue durée, ainsi que les changements économiques structurels causés par l’expansion de l’économie collaborative, la diminution du nombre de contrats de travail « classiques », de travailleurs indépendants… Néanmoins, il a rappelé les compétences d’action très limitées de la Commission européenne quant au domaine du revenu minimum. En effet, les institutions européennes peuvent seulement encourager la coopération entre états membres, promouvoir et échanger de bonnes pratiques. Radek Maly a assuré que la Commission européenne suit avec attention les expérimentations en cours sur l’introduction d’un revenu de base.
Durant la discussion avec le public, Idès Nicaise, professeur à l’Université de Leuven (KUL) eut l’opportunité de rappeler l’importance d’investir dans les personnes sans emploi, pour leur permettre d’être mobile, de se former, de s’intégrer dans la société. Sans oublier la nécessité d’agir contre les taux trop élevés de non-accès aux garanties de revenu.
Les eurodéputés membres de l’intergroupe parlementaire ont communiqué qu’ils continueront à suivre de près la question du revenu minimum.