Robert Pendville, artisan de démocratie à l’école des plus pauvres
Robert Pendville est décédé le 26 décembre 2015. Jacqueline Plaisir s’est rendue à ses obsèques et lui rend hommage au nom de la Délégation générale.
C’est au tout début des années 70 que Robert Pendville découvrit l’intolérable et l’insoutenable de la misère en rencontrant le Mouvement ATD Quart Monde.
Jeune ingénieur, fraîchement sorti de l’Université et débutant sa carrière, il a été amené un jour à visiter un volontaire d’ATD Quart Monde dans une impasse à Bruxelles, et arriva au beau milieu d’une réunion. Sans pouvoir s’éclipser, il a cherché une chaise, il n’y en avait pas et a dû se résoudre à s’asseoir par terre comme les autres. Et là, tout a basculé. Ça a été un très grand choc ; brusquement, les pauvres sont devenus des personnes qui ont changé sa vie, car pour lui jusqu’alors « la misère ne pouvait exister. Les pauvres n’avaient qu’à travailler. Il y avait du travail pour tout le monde ».
En fait, il commençait ainsi son chemin de Damas, comme il dira plus tard, à la rencontre de ces familles pauvres, luttant au quotidien pour leur dignité. Il n’aurait pas pu le faire sans les volontaires : « ils devenaient le lien avec un monde qui fait peur, le monde de la misère, une peur inscrite profondément en soi. Une peur qui se lit aussi sur le visage des pauvres eux-mêmes. A regarder ces quartiers noirs, sombres, délabrés, des souvenirs d’enfance remontaient : je revoyais les pauvres de mon village. D’anciennes incompréhensions.»
Régulièrement, avec patience et humilité, il participait aux rencontres. « On ne peut pas comprendre ce qu’est vouloir donner un peu de lumière à ses enfants si on ne pénètre pas le noir où vivent les gens, leur souffrance de voir leurs propres enfants subir la misère qu’ils ont vécue sans réussir à les en sortir. Sans cette connaissance, on ne peut rien comprendre. Rien de ce qu’ils font ne semble avoir du sens. Les volontaires, par la chaleur humaine, me permirent de regarder en face cette souffrance, ne serait-ce que quelques instants. Le monde alors est retourné.» Il ajoutera : «L’abîme que j’ai découvert entre les pauvres et moi m’avait persuadé que les spécialistes ne pouvaient suffire à le combler, car il était question de dignité humaine, d’éthique, de démocratie, question qui nous concernent tous ».
La relation de Robert Pendville avec le Mouvement va grandir.
Il rencontra ensuite le Père Joseph Wresinski avec lequel il s’est lié d’amitié
C’est d’ailleurs une remarque du Père Joseph qui l’a bousculé, un jour « Qu’attendez-vous pour faire entrer le Quart Monde à la Commission Européenne ? »
Humblement, il a reçu cette interpellation comme une lettre de mission. Il était prêt. Il en parlera à son supérieur, directeur de la division de l’Information, Jacques-René Rabier, et quelques mois plus tard, le père Joseph Wresinski était reçu par le Commissaire européen Albert Coppé, dont dépendait également la division des Affaires sociales.
Il en résulta un premier contrat officiel entre la Commission et le Mouvement sous la forme d’une étude intitulée « Jalons pédagogiques pour une évaluation du Quart monde ».
Des volontaires permanents ont pu également être stagiaires à la commission pour se former mais aussi pour partager avec les fonctionnaires leur connaissance sur les réalités de la grande pauvreté, encore très ignorées au sein de la Commission.
Au fil des années, grâce à M. Pendville, M. Rabier, et une poignée d’autres fonctionnaires européens autour d’eux dont Paul Collowald, Gianfranco Giro, le Quart Monde a gagné sa reconnaissance comme partenaire, interlocuteur valable non pas seulement dans le domaine social mais dans toutes les domaines de compétences de la Commission : la culture, l’économie, la politique régionale, l’éducation notamment etc.… Cela a commencé par des collaborations ponctuelles, puis s’est instaurée une tradition de travail commun, de rendez-vous réguliers pour un jour parvenir au droit et à la responsabilité de participer.
M. Pendville écrira : « La solidité de la relation instaurée n’était pas due à un rapport de force, mais à sa réciprocité et à la conscience, de part et d’autre, d’avoir un intérêt supérieur commun : celui d’affermir et d’élargir une démocratie en tentant de n’en exclure aucun citoyen. La Commission européenne en effet ne garde tout son sens, son honneur et son autorité que si elle peut montrer qu’elle travaille pour les droits et responsabilités de tous les européens et non pour les privilèges de certains ».
Plusieurs étapes de l’histoire du Quart Monde en Europe touchèrent la Commission comme par exemple la campagne contre l’illettrisme en 1977, le rassemblement de 10 000 délégués du Quart Monde à Bruxelles le 15 mai 1982 qui donna l’occasion de rencontre avec le Président de la commission , Gaston Thorn et le Commissaire Ivor Richard, chargé de l’emploi, des affaires sociales et de l’éducation.
Ces délégués étaient porteurs d’un appel signé par 250 000 personnes qui affirmait que la misère était une atteinte aux Droits de l’Homme. Ce fut le point de départ d’un long plaidoyer qui mena à l’adoption des principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les Droits de l’homme à l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 2012.
Universités Populaires Quart Monde européennes
S’est aussi instauré au Parlement Européen un cycle régulier d’Universités Populaires Quart Monde européennes, véritables espaces de réflexion entre délégués du Quart Monde, autres personnes, membres d’associations engagées dans la lutte contre la misère et la promotion des Droits de l’Homme, des fonctionnaires et parlementaires européens.
M. Pendville a été un allié du Quart Monde, partageant la vision avec le Mouvement d’une Europe fondée sur la dignité intrinsèque de chaque être humain, sur une paix inséparable de la justice sociale, sur la conviction que la persistance de la misère mine à la base le projet européen.
Il portait en permanence ce questionnement du père Joseph : « Suis-je vraiment un artisan de l’Europe pour tous ? Ce que je fais, ce que je dis, ce que je propose, permet-il la réalisation d’une Europe où les plus pauvres seront enfin libérés ? Permet-il la réalisation d’une Europe des Droits de l’Homme ? ».
Robert Pendville a été un artisan de démocratie, artisan d’humanité, artisan de fraternité, dans une discrétion incomparable, celle justement d’un artisan, et avec ce sourire chaleureux et affectueux qui le caractérisaient. Il a été surtout un homme qui s’est mis à l’école des plus pauvres, humblement pour en demeurer un ami fidèle jusqu’à la fin de sa vie.
Bibliographie : « Artisan de Démocratie » Jona M Rosenfeld – Bruno Tardieu / Editions les Ateliers-Editions Quart Monde