Se réapproprier son image pour changer les perceptions
Quand les personnes vivant en situation de pauvreté sont stigmatisées et « aliénées » par des stéréotypes violents, comment peuvent-elles faire prendre conscience à d’autres gens de cette discrimination sociale, et faire en sorte que l’attitude du grand public change ? Les militants d’ATD Quart Monde du Royaume-Uni ont relevé ce défi avec un projet mis en place sur le long terme appelé : « Les rôles que nous jouons : reconnaître les contributions des personnes du quart monde ».
Initié en 2009, ce projet s’est achevé avec la publication d’un livre ainsi qu’une exposition itinérante. Actuellement, les auteurs du livre se sont engagés à évaluer la méthodologie participative qu’ils ont utilisée durant le déroulement du projet. Les résultats de cette évaluation seront rendus publics dans un film et un rapport à la fin de l’année 2018.
Un des aspects de cette évaluation est centré sur l’importance pour les personnes vivant en situation de pauvreté de contrôler leur propre image. La militante Amanda Button a évoqué ce sujet lors de plusieurs conférences : Au Kings College de Londres, à l’université de Sheffield, au lycée français Charles de Gaulle de Londres, et, plus récemment, à la Joseph Rowntree Foundation Homestead, à York.
Voici une retranscription de son discours :
« Les personnes qui vivent dans la pauvreté sont bien souvent traitées sans dignité ni respect, ce qui est pour moi scandaleux. Je trouve que les médias et les journalistes peuvent avoir des propos abusifs. Ils devraient prendre le temps de connaître les gens plus en profondeur. Parfois, ils peuvent dépeindre une image faussée de ces personnes. Les journalistes ne devraient pas critiquer des gens qui ne sont pas aussi riches ou bien éduqués qu’eux. Ils n’ont peut-être pas eu les mêmes difficultés, les mêmes luttes dans leur vie. Les médias et les journalistes devraient avoir honte quand ils créent des images fausses et négatives des personnes vivant en situation de pauvreté. Les gens du quart monde n’ont jamais demandé à être traités de la sorte ; ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont. Ils méritent d’être traités de manière égale, avec dignité et respect. Après tout, ils et elles sont des êtres humains, comme tout le monde.
On m’a demandé de prendre part à un projet nommé ‘Les rôles que nous jouons’. Ce projet apporte, selon moi, un point de vue différent. Il présente au grand public la pauvreté sous un nouveau regard. Il amène celle-ci au premier plan dans les esprits des gens. Quand nous avons réalisé le ‘shooting’, nous avons pu choisir où, quand et comment les photos seraient prises. Nous avons aussi eu la possibilité de choisir nous-mêmes les photos sélectionnées.
Pouvoir garder la mainmise sur ma propre image m’a donné de la force. Cela m’a fait comprendre le sens de l’intention et du contrôle. J’ai beaucoup aimé le processus, car il m’a fait sentir que je gardais le contrôle sur comment je voulais que l’on me voie. Réaliser ces photos de la manière dont je voulais les faire a signifié que je pouvais dire : ‘Là, c’est moi’. Personne n’a falsifié mon image. C’est très rare dans la vie, notamment quand tu es dans une situation de lutte quotidienne.
Il faut quelqu’un qui prenne le temps d’écouter ce que tu as à dire, et qui prenne en compte tes opinions. Cela t’aide à te sentir plus confiant envers toi-même. Si quelqu’un prend tes sentiments en considération, alors tu te sens capable de poser n’importe quelle question, sans crainte d’être jugée ou que l’on te dise ‘Non ! C’est comme ça que l’on doit faire ces photos’. Cela signifie que la personne qui tient l’appareil n’est pas là seulement pour faire le portrait dont elle a envie, mais plutôt pour donner une image réelle de la personne.
Je voulais être photographiée avec un cheval. Le choix de l’endroit était aussi très important pour moi ; je voulais donner une image de mon amour de la nature. La nature représente pour moi de nombreux souvenirs positifs. Le fait de me faire photographier montée à cheval m’a rappelé des jours meilleurs, quand je venais de quitter l’école et que je commençais à travailler.
« Quand je regarde ces photos de moi, je vois une personne heureuse, fière d’elle. Je me sens fière de ces photos. Mais les photos ne peuvent pas tout dire de moi ; c’est pour cette raison que les mots sont tout aussi importants. On m’a demandé d’écrire un court texte pour aller avec les photos. Ainsi, on m’a aussi donné le contrôle de ce que je voulais dire. »
Photos Eva Sajovic