Semaine internationale des archives – Geneviève de Gaulle
Photo : Université Populaire Quart Monde – Paris, 11/06/1996 © ATD Quart Monde / Centre Joseph Wresinski / 0477-006-049_028
Article écrit par Bruno Tardieu, directeur du Centre de mémoire et de recherche Joseph Wresinski
Le 25 Octobre prochain Geneviève de Gaulle Anthonioz aurait eu 100 ans.
À l’occasion de la semaine internationale des archives, dont le thème cette année est « Renforcer la société du savoir », nous voulons rendre publiques des archives de cette résistante, déportée, une des premières alliées du Mouvement ATD Quart Monde et sa présidente pour la France de 1964 à 1998.1 Paul Bouchet succède à Geneviève de Gaulle, à la présidence d’ATD Quart Monde France en 1998. Elle aura également été présidente de la Fondation ATD Quart Monde, de 1971 jusqu’à son décès, en février 2002.
Beaucoup d’archives de Geneviève de Gaulle sont connues du grand public français depuis qu’elle est entrée au Panthéon en 2015, au nom de son engagement dans la résistance au nazisme. Une grande biographie de la nièce du général de Gaulle vient d’être publiée aux États-Unis, destinée au grand public anglophone, et ses deux livres autobiographiques, Le secret de l’espérance2et Traversée de la nuit3 sont traduits en chinois.
- Mais ce qui est moins connu c’est la volonté de Geneviève de Gaulle de se mettre à l’école des plus pauvres, de faire que leur savoir soit reconnu, recherché et qu’il contribue à améliorer notre monde.
Les archives que nous publions ici et continuerons de publier tous les mois jusqu’au 25 Octobre en seront autant de preuves. Depuis son lien fort avec les habitants du Camp des Sans-Logis de Noisy-le-Grand, sa présence régulière aux Universités populaires du Quart Monde, jusqu’à la manière de construire la loi d’orientation contre les exclusions à partir des expériences, observations et réflexions des gens dans la misère, elle n’a pas cessé de croire que le savoir des très pauvres est précieux, qu’il peut nous civiliser.
Le savoir des très pauvres se cache souvent sous un épais silence, tant il est vrai que la violence de la misère fait taire ses victimes, comme toutes les grandes violences.
Geneviève de Gaulle savait ce silence, et c’est peut être là qu’elle a rejoint les militants Quart Monde et qu’ils se sont reconnues en elle. Car comment parler de l’humiliation, de l’expérience d’être nié jusque dans sa souffrance ? Les pauvres se taisent tant qu’ils voient qu’on ne les croit pas vraiment, tant qu’ils ne sont pas certains qu’on s’engagera avec eux. Geneviève de Gaulle le savait, elle, qui au retour des camps de concentration, a vécu la terrible expérience que personne ne voulait les écouter, personne ne voulait savoir.
C’est au crépuscule de sa vie qu’elle a enfin réussi à écrire son expérience des camps dans La traversée de la nuit. Puis elle a écrit un deuxième livre, Le secret de l’espérance, où l’on voit que sa résistance commencée le 17 Juin 1940 en refusant de se soumettre a continué au-delà de la guerre, aux côtés du Père Joseph Wresinski et du Quart Monde. Dans les premières pages elle décrit la chapelle du Camp des Sans-Logis de Noisy-le-Grand, hiver 1960, pour l’enterrement de deux enfants morts dans un incendie, si fréquent dans le camp :
- « … pourquoi le Bon Dieu permet-Il cela. Le père Joseph est à l’autel, tout le monde se tait, beaucoup pleurent en silence. Lui-même ne parvient pas tout de suite à surmonter sa peine et son émotion. […] Que puis-je faire moi devant la misère du monde, les guerres, les famines, tout ce que j’aurais voulu ne plus jamais connaître en sortant de l’univers concentrationnaire ? Mais je comprends que je n’en suis jamais complètement sortie… de nos corps serrés les uns contre les autres se dégage une odeur dans nos baraques surpeuplées. […] L’humiliation de se dégoûter soi-même. Les familles, ici n’ont que trois points d’eau pour ce grand bidonville, pas de toilettes, pas d’électricité. Je ne peux pas en prendre mon parti, pas plus que la mort de ces deux petites filles, qui nous réunit. »
Tout le reste de sa vie et jusqu’à son dernier souffle elle a résisté.
«J’ai connu deux totalitarismes, disait elle à la fin de sa vie, le nazisme et le stalinisme. Et je vois s’installer le totalitarisme de l’argent».
Pour résister, elle a rejoint le refus de ceux qui vivaient la misère, aussi pour apprendre d’eux cette espérance qui peut toucher chacun et élargir la résistance, personne par personne. Elle a appris jour après jour auprès des militants Quart Monde les gestes de leur résistance, en vivant la fraternité avec eux, et avec les volontaires et les alliés dont elle faisait partie. Elle a entraîné des fonctionnaires, des ministres, des présidents de la république, toute l’Assemblée Nationale à se saisir, eux aussi, de la boussole de la justice avec ceux qui font l’expérience de l’injustice pour construire des politiques, jusqu’à la loi d’orientation contre les exclusions de 1998. Le chemin d’apprendre la justice avec ceux qui en connaissent tout le prix continue.