« Ses chansons ont touché nos cœurs » : Jane Birkin en Haïti
Le 12 janvier 2010, Haïti est frappé par un terrible séisme qui secoue le monde entier. Quelques semaines après, un petit groupe de volontaires permanents du Centre international d’ATD Quart Monde, en France, est parti à Port-au-Prince afin de soutenir l’équipe de ce Mouvement en Haïti. Jane Birkin, chanteuse francophone d’origine anglaise, a aussi souhaité se solidariser avec le peuple haïtien. Grâce à la réalisatrice Caroline Glorion, la chanteuse a alors découvert le Mouvement ATD Quart Monde et a rejoint l’équipe d’Haïti. Avec les volontaires, elle est partie à la rencontre des familles sinistrées les plus isolées.
Dans cet article, ATD Quart Monde rend hommage à Jane Birkin.
Art et engagement
Caroline Glorion, alliée d’ATD Quart Monde depuis 1980, journaliste et réalisatrice, était proche de Jane Birkin. Elle avait écrit et réalisé, avec Delphine Bolleret, le documentaire Jane Birkin, le voyage d’Arabesque en 2003. Quand la chanteuse a partagé sa volonté de soutenir les habitant·e·s d’Haïti après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, Caroline Glorion l’a mise en relation avec le Mouvement ATD Quart Monde, présent dans ce pays depuis 1981.
L’arrivée à Port-au-Prince
Alors que les premières réactions internationales qui suivent le séisme se manifestaient par des dons et des distributions humanitaires, Jane Birkin a atterri le 4 avril à Port-au-Prince avec deux bagages : son art et sa sensibilité. Elle savait que l’art pouvait donner la force de faire face à des situations aussi difficiles. Pour que les personnes sinistrées puissent continuer à vivre, l’espoir qu’elle apportait était aussi indispensable que les aides d’urgence.
- « En avril 2010, à peine trois mois après le tremblement de terre s’étaient écoulés. La capitale était vraiment sous le choc. La vie quotidienne était frappée par quelque chose de très grave et on avait en même temps un sentiment qu’on était tous liés et qu’on allait s’en sortir. On ne savait pas encore comment, mais on allait s’en sortir ensemble. Et la visite de Jane Birkin, c’était vraiment un espoir, une amitié, une fraternité » se souvient Jacqueline Plaisir, volontaire et à l’époque, membre de l’équipe permanente d’ATD Quart Monde en Haïti.
Jean-François Gay, chanteur haïtien et militant Quart Monde, a été très impressionné par la simplicité de la chanteuse à son arrivée :
- « Tout était démoli, brisé, en Haïti. Et Jane Birkin arrive, une artiste de renommée internationale, alors que tout était anéanti. Malgré cela, elle est venue. Il n’y avait même plus d’hôtel. Elle a accepté d’être logée modestement. Sa manière d’arriver à la Maison Quart Monde et de collaborer avec des personnes qu’elle ne connaissait pas nous a impressionnés. Puis, nous avons eu la chance de chanter avec elle au Centre Don Bosco. »
Kysly Joseph, volontaire permanent, a rencontré la chanteuse lors de la conférence « Haïti, Demain » organisée le 9 avril par ATD Quart Monde à la Maison de la Radio, en France. Pour lui aussi, le séjour de Jane Birkin dans son pays a été une initiative marquante :
- « La visite de Jane Birkin s’inscrivait dans toute une dynamique pour que la voix des plus pauvres puisse être entendue durant la reconstruction d’Haïti. Une personnalité comme celle de cette artiste à ce moment passait quelque chose de fort. »
Une présence pour renforcer la reconstruction du pays avec les plus pauvres
Durant ces 5 jours passés en Haïti, du 4 au 8 avril 2010, Jane Birkin a suivi les volontaires permanents dans leur quotidien. Guidée par les membres d’ATD Quart Monde Haïti, elle est allée à la rencontre des Haïtien·ne·s les plus affecté·e·s par la catastrophe. Dans un camp de déplacé·e·s, elle a chanté avec les enfants lors d’un moment de partage autour du livre (la Bibliothèque de rue). Elle a aussi réalisé avec les enfants des fleurs en papier de toutes les couleurs.
Sur les flancs des mornes de Martissant, elle a salué les habitant·e·s, elle a partagé des mots d’amitié et a marché avec ces personnes en ce lieu. Elle a suivi jusqu’au haut du morne de Grand’Ravine un jeune, David Jean aujourd’hui volontaire permanent, pour rencontrer les habitant·e·s les plus isolé·e·s, les plus pauvres. Il fallait s’assurer que les aides alimentaires étaient partagées avec tout le monde et qu’elles étaient parvenues jusqu’à ces personnes.
« Jane Birkin a observé chaque pas des volontaires, se rappelle Jacqueline Plaisir, elle a vu comment ce volontaire s’arrêtait et discutait avec les personnes. Elle a aussi été accueillie comme si elle faisait déjà partie de cette grande chaine d’amitié. »
Jane Birkin a encore visité l’hôpital avec l’équipe. Certaines personnes venaient d’être amputées ou étaient gravement blessées. Jacqueline Plaisir s’est souvenue « qu’une vieille dame a voulu qu’elle lui chante une de ses chansons. Elles se sont mises à chanter ensemble et chacune à leur tour. »
« La musique n’a pas de frontières »
La musique a bien sûr occupé une place centrale durant ce séjour. Jane Birkin a chanté dans deux lieux différents, accompagnée de son pianiste. Elle a aussi improvisé et joué avec des musiciens haïtiens comme Jean-François Gay qu’elle a invité à chanter avec elle face à des publics variés : au Café des Arts à Pétionville et à Lakou, centre d’accueil d’enfants vivant dans la rue, sur le Bicentenaire, où ATD Quart Monde anime une bibliothèque de rue.
Une forte émotion a été partagée pendant ce concert qui a rassemblé plus de 300 personnes, dont les enfants accueillis à Lakou Don Bosco. Cette émotion est toujours aussi présente dans les souvenirs de celles et ceux qui y étaient :
- « C’était un moment magique. Malgré la différence culturelle, ses chansons ont touché nos cœurs. L’espace était recouvert de bâches tressées pour nous protéger du soleil. Cette lumière qui passait au travers, les couleurs, les sourires se mélangeaient et donnaient à la musique une certaine légèreté. Je garde en moi cette image, cette impression de douceur. Pour Jean-François, c’était aussi un moment fort, il chantait avec une chanteuse internationale », se remémore Jacqueline Plaisir.
- « Nous avons eu la chance de jouer avec elle à Lakou Don Bosco pour les enfants les plus vulnérables. Elle nous a retrouvés dans cette zone à risque, mais cela n’effrayait pas Jane Birkin. Elle est venue dans ce quartier défavorisé, elle a visité avec nous Grand’Ravine, puis le quartier du Bicentenaire et on a ensuite joué ensemble. Elle a joué avec les enfants. Partout, elle a été bien accueillie. Elle embrassait les enfants et leur disait ʺCourage ! Même si le pays est détruit, il y a encore les personnes, il y a encore de l’espoir !ʺ Cela nous a beaucoup marqués, elle va nous manquer. La musique n’a pas de frontières » s’est ému Jean-François Gay peu après avoir pris connaissance du décès de Jane Birkin.
En fin de journée, d’autres rencontres ont eu lieu avec des allié·e·s, amis et partenaires d’ATD Quart Monde. Jacqueline Plaisir se souvient des discussions sur Haïti et sur sa reconstruction :
- « On s’asseyait ensemble pour parler de ce pays qui nous rassemblait et de cet avenir auquel on voulait croire. »
Le retour : un appel pour la reconstruction d’Haïti avec les plus pauvres
Une conférence publique proposée et organisée par le Mouvement international ATD Quart Monde, animée par Claire Hédon (qui était à l’époque journaliste à RFI), s’est déroulée le 9 avril 2010. De nombreuses personnes ont été réunies à cette occasion : des volontaires permanents haïtiens, des militants Quart Monde français, Eugen Brand (l’un des volontaires qui a rejoint l’équipe du Mouvement d’Haïti et, à l’époque, délégué général), Jane Birkin, Pierre Duquesne (Ambassadeur chargé de la coordination interministérielle de l’aide et de la reconstruction en Haïti), entre autres. Cet évènement était un dialogue en duplex entre les intervenants de Paris et les volontaires ou militants Quart Monde qui se trouvaient à Port-au-Prince et à La Nouvelle-Orléans.
À cette occasion, Jane Birkin a partagé l’expérience de ce séjour en Haïti :
- « C’était pour moi la récompense de toutes ces années d’avoir été quelque chose qui essaie de ressembler à un chanteur : me trouver dans ces tentes avec ces vieilles dames, ces mères et pères courageux et ces grand-mères incroyables. Des choses que [les Haïtien·ne·s] peuvent nous dire, c’est de quelle façon nous avons peut-être perdu la fraternité. Cela, ils·elles me l’ont appris » (Jane Birkin).
- « J’étais très fière d’être avec ATD Quart Monde parce que je les découvrais dans toute leur force : quand ils visitent ces personnes tous les jours, et avec eux, on a pu rencontrer dans ces mornes des gens qui n’osent pas descendre. »
Se rencontrer grâce à la musique
Treize ans plus tard, Jean-François Gay se souvient encore de la confiance, de la solidarité et de la fraternité durant ces journées passées avec Jane Birkin:
- « Son passage nous a beaucoup marqués. En tant qu’artiste, on sait qu’à n’importe quel endroit du monde, on peut rencontrer les autres grâce à l’art. Elle était pour nous comme un ange parce qu’une personne qui arrive comme cela, sans même nous connaître, et qui s’adapte comme elle l’a fait et nous a fait confiance. Tout cela en dit long sur qui est cette femme. Je voudrais envoyer du courage à sa famille et remercier Jane Birkin. Chez nous, on dit que ceux qui font le bien ne meurent jamais. »
Pour en savoir plus sur le courage du peuple d’Haïti et sur sa lutte quotidienne pour vivre dignement, découvrez le livre Ravine, l’espérance de Jean-Michel Defromont, Louis-Adrien Delva, Kysly Joseph, Laura Nerline Laguerre, David Lockwood, Jacques Petidor et Jacqueline Plaisir.
Photos : Vladi Pino, Haïti, 2010 © ATD Quart Monde
Magnifique hommage, à la hauteur de l’artiste et de sa façon de rejoindre les familles qui vivaient une sorte de fin du monde. Merci à Jane Birkin, merci à Caroline Glorion d’avoir rendu possible cette rencontre avec les familles aux vies fracassées, avec les volontaires d’atd présents déjà bien avant la catastrophe, avec Jean-François Gay un artiste qui a grandi parmi elles, et merci à Jacqueline Plaisir grâce à qui nous avons les détails de ce témoignage. L’Espérance ne peut se passer des personnes qui en gravent la mémoire.
Venir avec l’ouverture de l’humilité, pour apprendre de celles et de ceux qui vivent des choses inédites, une posture rare. Merci Jane.