Surmonter les difficultés ensemble
Photo : 2020, Guatemala © ATD Quart Monde
Dans le monde entier, l’économie et les ressources des familles les plus vulnérables ont été durement touchées par la pandémie du coronavirus. La Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes des Nations Unies estime une hausse de 30% des personnes en situation de pauvreté dans certains pays de la région, soit un total de près de 220 millions de pauvres. Ce chiffre témoigne des millions de personnes qui souffrent de la faim, de l’insécurité et du manque d’accès aux droits fondamentaux : santé, logement et éducation, entre autres.
Mais la pauvreté n’est pas nouvelle. «La différence – explique Luis Zepeda depuis son domicile dans un des quartiers les plus appauvris de la capitale guatémaltèque – c’est qu’elle est maintenant plus visible, elle est davantage exposée à la société. »
La solidarité dans les communautés et les quartiers pauvres de la région n’est pas nouvelle non plus. Elle n’est pas apparue dans ce contexte de pandémie, elle fait partie des pratiques quotidiennes au sein du voisinage en faveur du bien-être de tous.
En se référant à l’importance de la solidarité dans la culture andine et à Senkata (El Alto, Bolivie), où elle vit, Susana Huarachi explique :
- «On vient d’une structure sociale au sein de laquelle on a toujours partagé, c’est ce qui nous a permis de surmonter les difficultés ensemble. Pour ceux qui viennent d’une culture aymara ou andine, le partage est fondamental, la solidarité est présente à chaque instant, que ce soit pour partager un bon moment ou si tu as besoin d’aide.
Ici, quand tu vas rendre visite à quelqu’un, tu n’y vas jamais les mains vides. Ce n’est pas une règle stricte mais c’est ce qui se fait. Et si les voisins apprennent qu’une famille est malade ou a des problèmes, ils vont immédiatement les soutenir, en général avec de la nourriture, rarement avec de l’argent, mais tu amènes toujours un peu de pain ou quelque chose comme ça.
Quelque chose qui se fait beaucoup ici, c’est de saluer les gens que tu croises dans la rue. Tous les enfants t’appellent tata ! Pour moi ce n’est pas seulement une habitude, ce sont des liens forts qui te permettent de sentir que tu fais partie de quelque chose de plus grand que seulement toi et ta famille, sentir que tu fais partie de la communauté.
Ces petits collectifs de solidarité et ces démonstrations permanentes, quotidiennes, permettent à la population de résister à cette pandémie et aux conflits sociaux que nous n’avons pas encore résolus.»
Au-delà de la culture andine, les personnes les plus défavorisées à travers le monde entreprennent des actions de solidarité afin que d’autres ne subissent pas ce qu’elles ont subi.
- Comme le dit Luis Zepeda, du Guatemala : « C’est ce qui nous a encouragé à aider, nous avons vécu dans la même situation et cela nous encourage à partager, à être attentifs aux autres. On peut dire qu’on l’a vécu et faire quelque chose pour que personne d’autre ne le vive parce que c’est très dur. »
- Selon Roxana Quispe, de Bolivie : « Nous ne pouvons compter que sur l’aide des uns et des autres qui vivent ici. Nous savons ce dont nous avons besoin et ça nous aide à penser à d’autres familles qui, comme nous, sont en train de passer un moment difficile et peut-être même pire encore.»
Au cours des derniers mois, le confinement, parfois extrême, que les États ont mis en place pour faire face à la crise sanitaire, a eu des conséquences brutales sur les économies de subsistance déjà fragiles de millions de familles dans la région.
Une fois de plus, la réponse de ces familles a été la solidarité. Sans hésiter, elles ont pris les rennes avec leurs voisins, pour devenir des agents de coopération au sein même de leurs communautés et quartiers :
- « Je pense que ce qui me pousse à être comme ça – explique Tatiane Soares depuis son quartier au Brésil – c’est la manière dont j’ai été élevée par ma grand-mère. Depuis que l’on est arrivés à Morro dos Anjos, on a changé les choses dans la communauté. C’est ce que je souhaite : changer les choses. Je pense qu’il y a encore beaucoup de belles choses à faire, à venir. Mes enfants sont proches, ils auront des enfants, des petits enfants… Je veux qu’ils se souviennent qu’il y a une personne qui s’est battu pour un monde meilleur, qu’ils puissent eux aussi contribuer à changer les choses, que ça ne soit pas que moi dans une communauté sinon que dans chaque communauté, dans chaque pays, il y ait une personne qui souhaite changer le monde. C’est ce qui me rend heureuse. »
Pour faire face à cette situation d’urgence, d’insuffisances économiques et alimentaires, les personnes des communautés dont nous parle Tatiane ont fait preuve de beaucoup de créativité pour marquer une différence, pour ne pas laisser les plus vulnérables seuls, sans nourriture. Au fil des semaines, elles ont élaboré de nombreuses formes de partage : le troc, la collecte de vivres pour confectionner des paniers alimentaires, les « casseroles communes » pour cuisiner ensemble des repas, la fabrication de masques, l’achat de produits vendus par ceux qui en ont le plus besoin, le partage de ce dont chacun dispose à la maison.
- Julia Marcas, à Lima au Pérou nous dit : « À partir de demain je m’occuperai des casseroles communes avec mes voisins parce que certaines familles n’ont plus rien à manger. Tout à l’heure un voisin nous a donné un demi sac de pommes de terre et d’autres environ 5 kg de quinoa. Le peu qu’ils possèdent, ils le donnent. Grâce à Dieu, ils se passent le mot entre voisins. Parfois il y a plus d’union entre pauvres.»
- D’après Milena Foronda à Medellín en Colombie. «On a eu recours au fameux troc, qui nous permet de revenir à nos origines. Nous avons fait un recensement par foyer : de quelles denrées alimentaires dispose la famille et qu’est-ce qu’il lui manque ? Il y a des familles qui ont trop de haricots rouges, d’autres trop de riz, donc si tu veux donner quelque chose que tu as chez toi, tu le donnes. C’est comme ça qu’on confectionne des paniers pour ceux qui n’ont rien.»
- Pour Victoria Huallpa d’El Alto en Bolivie : «Un jour, nous sommes sortis avec ma fille et nous avons croisé un voisin que je n’avais pas vu depuis longtemps. Je l’ai vu vendre des fruits que nous n’aimons pas vraiment mais que nous avons acheté malgré tout parce que c’était une personne âgée qui essayait de s’en sortir ».
- Aida Morales d’Escuintla au Guatemala ajoute : «Dieu me donne la possibilité de cuisiner des petits plats avec ce que l’on consomme ici au Guatemala. Je partage avec dix, onze, douze familles… autant que possible. Je travaille les dimanches, car du lundi au vendredi je travaille ailleurs. Mais le dimanche je le fais avec beaucoup d’amour. Je me lève avec enthousiasme en sachant que je dois faire quelque chose pour ma communauté.»
À Petrópolis, au Brésil, l’idée est née de préparer des kits pour aider les familles qui vivent à Caxambú afin de prévenir la propagation du virus. Ils ont reçu des dons qui ont permis de confectionner des kits avec de l’eau de javel, du liquide vaisselle, des savons, de l’alcool, du gel antibactérien et de nombreuses couturières ont prêté main forte à la confection de masques pour adultes et pour enfants. Aux produits d’hygiène, Tatiane a proposé d’ajouter des graines de tournesol pour que chacun puisse les semer et en prendre soin pendant la pandémie.
- « Il est important – disait Tatiane – de toujours vouloir prendre soin, afin de ne pas oublier de le faire les uns avec les autres. C’est également important de sentir la vie éclore, malgré les difficultés que nous sommes en train de traverser. Et que celle-ci nous rappelle que là où il y a de la vie, il y a de l’espoir et que nous devons continuer. »
Prendre soin n’est pas seulement partager des biens matériels et des denrées alimentaires. C’est aussi renforcer le soutien émotionnel pour résister aux situations de détresse, écouter et être écouté, être attentifs, s’assurer que personne ne reste seul et ne soit dans la honte de ne pas posséder.
- Paulina Mollericona d’El Alto en Bolivie poursuit : «Je pense aux autres. Si je suis dans cette situation, dans quelle situation se trouvent les autres ? J’ai vu ma voisine et je lui ai demandé : ça va ? Elle avait les larmes aux yeux. Je lui ai raconté qu’au début j’allais mal et qu’on m’avait aidé, je voulais la consoler ou la soutenir. Je voulais lui dire : ne t’inquiètes pas, on est avec toi. Dans ces moments-là, lorsque certains se découragent, nous pouvons nous relever les uns les autres… »
Depuis toujours, la solidarité, le partage et l’attention mutuelle sont des pratiques très présentes dans la vie des personnes qui habitent dans les endroits les plus pauvres du monde. Durant la pandémie, les personnes les plus vulnérables continuent d’y avoir recours, dessinant ainsi les voies de résistance à l’insupportable misère. À travers chaque geste envers l’autre, elles affirment – comme le disait Susana – que le partage leur a toujours permis de surmonter les difficultés ensemble.
Cet article est le premier d’une série sur la solidarité et l’attention mutuelle vécues dans les quartiers pauvres d’Amérique latine durant la pandémie du Covid-19. Toutes les citations proviennent d’entretiens réalisés par appels téléphoniques ou vidéoconférences durant la période de confinement. L’objectif de ces entretiens et dialogues entre membres d’ATD Quart Monde est de mettre en lumière ces engagements essentiels en faveur de la survie des personnes et des familles les plus pauvres.
Inscrivez-vous au webinaire en espagnol avec les protagonistes de cet article : Apprendre des initiatives des communautés en situation de pauvreté d’Amérique latine durant la pandémie.
Mardi 21 juillet, 10h à México (GMT-5), 17h à Paris (GMT +2)
Pour agir avec le Mouvement ATD Quart Monde.
La foi en Dieu est l’arme qu’utilise celui qui veut combattre la misère.
Cette pandémie est l’occasion qui permette á l’humanité de connaître que la solidarité et le partage mutuel sont un passage de vie de foi.