Valéry Giscard d’Estaing et le Quart Monde
Photo : Valéry Giscard d’Estaing rencontre les familles de la cité de promotion familiale d’Herblay, France, 1977 © Centre Joseph Wresinski / 0191-001-001_049
L’ancien président de la République, Valéry Giscard d’Estaing est décédé mercredi 2 décembre, à l’âge de 94 ans. Il a rencontré à plusieurs reprises les membres d’ATD Quart Monde, d’abord en tant que ministre des Finances, puis durant son mandat présidentiel. Sous son septennat, se réalise la généralisation de la sécurité sociale, notamment l’ouverture du droit aux allocations familiales à tous les résidents en France (et non plus seulement aux familles de travailleurs réguliers) le 1er janvier 1978. Cela a eu un impact énorme pour les familles en situation de pauvreté. En 1979, il nommait le fondateur d’ATD Quart Monde, Joseph Wresinski, personnalité qualifiée au Conseil Économique et Social1.
Extrait de l’article Chroniques Présidentielles 1967-1988, dans la Revue Quart Monde N°201, écrit par Jean Tonglet en 2007.
Après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République, Joseph Wresinski reprend son bâton de pèlerin. Dès la fin de l’été 1974, il entreprend les premières démarches afin d’assurer une représentation des plus pauvres au sein du Conseil économique et social de la République. Le 16 septembre 1974, dans une lettre adressée à Geneviève de Gaulle Anthonioz, M. Olivier Fouquet, conseiller technique de Valéry Giscard d’Estaing, accuse réception, sans autre commentaire, de « la candidature de l’abbé Joseph Wresinski comme représentant et spécialiste du Quart Monde au Conseil économique et social ».
La préparation et la publication d’un livre blanc sur le sous-prolétariat en France fourniront l’occasion d’une audience. Joseph Wresinski réitère la demande adressée en son temps au président Pompidou : qu’il désigne un chargé de mission, attaché à la présidence de la République, et dont la mission ne s’éteindrait que lorsque la misère aurait disparu.
Cette demande fut accueillie avec le même scepticisme. Cela ne découragea pas le père Joseph. Conscient de l’impact que tel ou tel geste posé par le chef de l’État pouvait avoir sur l’opinion publique, il se réjouit que celui-ci accepte une invitation à venir déjeuner chez elle, que lui avait adressée une famille habitant à la cité du Soleil Levant, à Herblay (Val d’Oise).
Cette visite du président de la République, le 1er janvier 1977, à une famille du monde de la misère suscita dans la presse pas mal de dérision. La rencontre d’Herblay fut immédiatement suivie d’un courrier adressé au Président, dans lequel le père Joseph revenait sur sa demande de création d’un « délégué aux minorités les plus défavorisées » aux côtés du président de la République et d’une représentation des plus démunis dans les instances officielles.
Dans un discours public prononcé à la salle de la Mutualité à Paris, le 17 novembre 1977, Joseph Wresinski enfonçait encore le clou. Dans une « adresse à l’État », il évoquait une fois de plus le rôle éminent du chef de l’État : « Nous demandons d’abord que le président de la République se reconnaisse publiquement garant de la défense des intérêts des minorités exclues ; qu’il veille à ce que le Quart Monde obtienne au plus vite les moyens de ses libertés socio-économiques, culturelles et politiques ; qu’il veille notamment à ce que le Quart Monde soit représenté dans toutes les instances où les autres citoyens peuvent se faire entendre. Nous demandons que pour assumer cette responsabilité dans les meilleures conditions, le chef de l’État désigne auprès de la présidence de la République un délégué chargé de suivre et d’évaluer en permanence l’élaboration et l’exécution d’un plan quinquennal pour éliminer la misère et l’exclusion dans la démocratie française. » […]
Dans une note manuscrite datée de l’été 1979, il tente de préciser les raisons qui le poussent à demander la création de ce poste de délégué aux minorités auprès du président de la République.
- « Pourquoi auprès du président de la République ? Au fondement de la Constitution sont les Droits de l’Homme. Le président de la République est garant que ceux-ci soient respectés pour tous les citoyens (donc pour les plus défavorisés). Cette garantie suppose une liberté envers les lobbies, les partis et groupes de pression. La conception de la démocratie est le respect et la défense des droits des minorités les plus défavorisées. Il est la plus haute autorité morale et (en France) politique. Il doit donc veiller à ce que la Nation soit sensibilisée à ce que les droits des minorités soient l’affaire de tous. Enfin il doit assurer la voix politique de ceux qui en sont privés.
- Le délégué [donne] la possibilité au président d’intervenir en connaissance de cause. Il doit pouvoir intervenir indépendamment de toute influence. Il doit pouvoir avoir de l’influence sur tous les ministères. Il connaît, il tient à jour toutes informations concernant la condition enfantine de tous les enfants de la Nation. Il est défenseur : il proposerait au chef de l’État un Plan à réaliser dans un laps de temps déterminé. Ce Plan se donnerait des objectifs limités. Il recevrait les moyens adéquats. Il étudierait les méthodes éprouvées. Il en assurerait l’application, l’évaluation, la diffusion des résultats. Il est le mobilisateur des instances responsables. Il crée des initiatives. Il doit agir pour que les moyens soient assurés aux parents et aux institutions pour que les droits soient assurés. »
Peu de temps avant la fin de son mandat, le président Giscard d’Estaing répondra partiellement aux attentes réitérées du père Joseph Wresinski. D’abord, en le nommant, en 1979, membre du Conseil économique et social. Puis en chargeant, en 1980, un conseiller d’État, M. Gabriel Oheix, d’un rapport « contre la précarité et la pauvreté », qui sera remis au président de la République le 23 mars 1981, quelques mois avant l’échéance de son mandat.
À la veille des élections présidentielles de 1981, l’Agence France Presse (AFP) relate un entretien donné par le père Joseph au cours duquel ce dernier souligne l’importance de ce rapport : « Il marque selon lui “une date dans l’histoire du sous-prolétariat et dans la lutte contre la misère”, souligne notamment la persistance en France de l’extrême pauvreté et rejette toute forme d’assistance aux familles les plus démunies, au profit d’un revenu minimum de soutien social. Pour le père Wresinski, qui avait demandé dès 1972 qu’un tel rapport soit établi, il faut malgré tout éviter que l’application des quelques soixante propositions faites par M. Oheix ne se retourne contre les pauvres en les enfermant un peu plus “sous la férule de l’administration”. Il faut en outre, insiste-t-il, “que des mesures soient prises pour lutter contre l’illettrisme et garantir le droit des plus pauvres au savoir et à un métier, à la représentation (qu’ils soient reconnus comme des partenaires sociaux), et à la sécurité des ressources” ».
« Quel que soit le président de la République, demain, déclare le père Wresinski, il est évident que nous ne laisserons pas ce rapport sous le coude, que nous nous battrons pour qu’il devienne une réalité ».
- Nommé Conseil Économique Social et Environnemental depuis 2008, le Mouvement ATD Quart Monde y siège encore aujourd’hui, représenté par Marie Aleth Grard
Très important et nécessaire de relater avec précision les liens, et les combats, du Mouvement ATD Quart Monde et du père Joseph Wresinski, avec la Présidence du pays et les instances de décision, afin que la démocratie soit à l’oeuvre, c’est-à-dire que tous les citoyens et citoyennes aient la possibilité d’être représentés, d’avoir droit à la parole, de faire des propositions, dans des instances où celles-ci seront entendues et pourraient être prises en compte Merci pour cet article dont le contenu peut nous inspirer aujourd’hui. Huguette Redegeld