Vers la citoyenneté par le chemin de la paix
Coïncidence ? Au moment où la présidente de la République de Centrafrique réunissait des personnalités représentatives du pays pour réfléchir à la reconnaissance mutuelle de tous comme citoyens à part entière, au delà des appartenances ou des divisions, 50 jeunes animateurs de diverses associations s’engageaient pour une « Citoyenneté par le chemin de la Paix » à la Cour ATD de Bangui.
C’est pour « ouvrir les consciences », réfléchir ensemble aux mécanismes qui ont conduit au conflit et se mobiliser pour une citoyenneté créatrice de paix, que 25 jeunes de réseaux d’action sociale et du milieu scolaire, ainsi que 25 jeunes membres du Mouvement ont participé à des journées préparées par ATD Quart Monde, en partenariat avec l’association rwandaise « Umuseke » (L’aurore, en kynyarwanda). Dans cette période incertaine pour le pays, les cœurs et les esprits se sont rassemblés autour d’un même acte de confiance : « C’est maintenant que notre pays a besoin de ce message ». Rien n’a entamé le souhait de se rassembler et de prendre ensemble du recul pour « se faire ensemble une idée de la paix » selon un participant.
Accueillis à la Cour, momentanément rebaptisée « Linga ti Siriri » (« tambour de paix », en sangö) par une élue de proximité, chef d’un quartier de Bangui, les participants centrafricains et les animatrices venues de loin découvraient que la vie citoyenne commence dans des responsabilités prises depuis la base.
Un fil, des pinces à linge, 29 dessins de scènes de la vie quotidienne : voilà la base pédagogique à laquelle les animateurs se sont exercés pour aider au dialogue dans leurs communautés. Quel plaisir que cette occasion de faire la lumière sur les préjugés qui détruisent : « Il y a des faits et des méfaits. On dit que tous les mandja sont des voleurs, que toutes les femmes banda sont infidèles, que tous les hommes ici ont des « deuxièmes bureaux », tous les musulmans sont armés, tous les chrétiens ont des machettes, tous les « godobés (enfants travailleurs) » sont des voleurs et des brigands. Avec ces jugements, on ne respecte pas la personne. On juge par l’appartenance au groupe. La personne touchée est étiquetée et perd sa dignité comme personne unique. Ça le conduit à la révolte, la revanche. Cela amène au conflit ».
La pédagogie reprend deux grandes étapes : les sources des conflits (mise en lumière des perceptions, généralisations, préjugés, rumeurs) et les possibles solutions. En abordant les sources des conflits, plusieurs des participants ont senti qu’ils pouvaient mieux analyser des choses qui leur étaient arrivées ces derniers mois. (…)
Une responsable d’école primaire se souvenait avoir essayé de combattre les rumeurs : « Il y a eu des réfugiés mauritaniens près de chez nous. Des enfants de l’école ont dit que c’était des Seleka. Le lendemain il n’y avait que très peu d’élèves à l’école : les parents avaient eu peur. On est allé saluer ces gens avec ces quelques enfants. Ils ont vu qu’ils étaient gentils. Je les ai renvoyés chez eux à la fin de la journée avec la mission de dire aux autres la vérité. Le lendemain, ces enfants ont pu rassurer leurs copains et la rumeur que ces réfugiés étaient dangereux s’est terminée ».
Un bénévole dans une association de formation professionnelle de jeunes porteurs du VIH, reprend : « Sur le site de l’aéroport où je suis réfugié avec ma famille, le 26 mai dernier avec la pluie, on nous a dit que les Seleka étaient entrés : tout le monde a fui. Et là nous aussi on a pas eu le temps de douter, il fallait d’abord fuir. C’est seulement ensuite que l’on peut douter, sinon comme parfois il y a une base de vérité, il y a danger ».
Le jeu du baromètre demandait de se positionner par rapport à une affirmation (« Tous les jeunes en Centrafrique sont manipulés par les opérateurs politiques »). Après des conversations longues et animées, personne n’a changé de camp. Et pourtant les arguments étaient convaincants ! On découvrait combien est prégnante cette polarisation : « Si tu es dans un camp, tu ne peux pas en changer, sinon tu es un traître ». En quelques minutes, on a pris conscience de l’ampleur de la tâche : créer en soi, et chez d’autres, un esprit de paix et d’écoute, un esprit de citoyenneté et de respect !
Une participante fit ce lien avec ce qui arrive dans le pays : « On était ensemble entre musulmans et chrétiens, et on est devenus ennemis, car on a entendu à la radio des opinions de gens qui nous disaient qu’on était en guerre entre religions. Mais c’est à cause de l’opinion de gens qui voulaient le pouvoir, et qui nous ont mis dans des faits terribles. A force d’entendre des opinions dans un seul sens, on doit réfléchir sur les opinions qui sont données et détacher les faits de l’opinion. ».
Lorsque les animatrices demandèrent : « Vous voyez des exemples de citoyens ? Des hommes exemplaires par leur citoyenneté ? » On entendit bien sûr les noms de Barthélémy Boganda, et celui de Nelson Mandela. Et puis on entendit aussi un des animateurs de bibliothèque de Rue à Kokoro en périphérie de Bangui, qui traduisait la pensée de beaucoup d’autres pour dire que finalement, nous sommes les premiers concernés : « Ça nous amène à prendre conscience des actes que nous faisons. Je ne vais pas garder cette formation pour moi, mais la partager et ça sera ma façon d’être citoyen ».
Un soir, les amies formatrices du Rwanda, ont raconté comment des jeunes là-bas s’organisent pour dépasser la division. L’un des participants voyait déjà l’avenir : « Comme les amies rwandaises sont venues aujourd’hui nous donner ce message de paix, nous savons qu’un jour, c’est nous, les centrafricains, qui pourront aller porter la lumière de la paix à ceux qui en ont besoin. »
Chacun est reparti avec un « cartable de la citoyenneté » contenant le dossier pédagogique et l’ensemble des « posters » en couleur, plastifiés, prêts à être exposés lors d’animations.
Une nouvelle rencontre est prévue dans quelques mois avec les formatrices rwandaises pour faire le point sur l’expérience dans les groupes de base.
Pour l’heure, dans les bibliothèques de rues d’ATD Quart Monde, dans des classes ou des centres éducatifs, dans des groupes des diverses confessions religieuses (avec la prudence qui convient à ces périodes de confusions), les volontaires-permanents et les jeunes animateurs entre eux s’épauleront pour créer des moments de réflexion entre enfants ou jeunes. Chacun va traduire à sa façon ce cheminement.
Avant de repartir pour son village à 22 km, un animateur disait :« Notre pays passe des moments où tous doivent jouer leur partition pour la paix. Nous sommes venus comme artisans de paix. Cela va nous engager à transmettre cela dans nos secteurs respectifs. En quittant ce village, nous devons devenir une question pour les chercheurs et analystes, une épidémie de paix va se propager depuis le village ‘Linga ti Siriri’ . »